Conflits au sein du GAEC et avec les banques
Mathieu, éleveur et céréalier
SP : Pouvez-vous nous expliquer le contexte des difficultés auxquelles vous avez dû faire face ?
Mathieu : Nous étions 3 associés au sein d'un GAEC : mon frère, un autre agriculteur et moi, sur 250 ha, avec une production laitière, de la viande (jeunes bovins) et des céréales. Il y avait des problèmes d'entente entre nous. Entre autres sujets, nous n'étions pas d'accord sur le choix des productions à prioriser : le 3ème associé voulait absolument développer les taurillons. Finalement, il est parti, en reprenant le matériel qu'il avait amené. Du coup, il nous a fallu trouver de l'argent pour acheter le matériel qui nous manquait. Après ça, les factures ont commencé à s'accumuler. On s'est adressés aux banques (CA, BPL) pour demander un prêt de consolidation et faire face aux dettes court terme ; elles ont refusé, prétextant qu'il y en avait trop. A ce moment-là [en 2010], j'ai contacté l'association Solidarité Paysans.
SP : Comment nous avez-vous connus ?
Mathieu : Je ne sais plus exactement ; je connaissais Solidarité Paysans depuis plusieurs années, du fait de mes engagements professionnels.
SP : Que vous ont dit les membres de Solidarité Paysans à l'époque ?
Mathieu : Ils m'ont soutenu dans l'idée qu'il y avait autre chose à faire que de mettre la clef sous porte et d'arrêter l'exploitation ! A ce moment-là, personne n'y croyait : banques, service de gestion, voisins, etc. Les membres de Solidarité Paysans m'ont parlé de la procédure de Redressement Judiciaire, que je connaissais un peu de loin. Et j'ai décidé de tenter cette solution.
SP : Avez-vous envisagé sérieusement d'arrêter votre exploitation ?
Mathieu : Oui ; il n'y avait pas 36 solutions ; comme les banques refusaient de nous consolider, il ne restait que le choix entre le redressement et l'arrêt !
SP : Dans le cadre d'une procédure de Redressement Judiciaire, la loi vous a obligés à faire la publicité de l'état de cessation des payements, par le biais d'une annonce légale ; comment avez-vous vécu cette étape ?
Mathieu : Pour moi, j'avais un objectif bien clair : m'en sortir ; les « on dit », je n'en ai rien à faire ! Je me suis retrouvé dans cette situation à cause de la faute à pas de chance, à cause aussi d'erreurs de stratégie (on a perdu de l'argent avec l'atelier taurillons). Je ne voulais pas en rester là, je voulais m'en sortir, peu importe ce que les gens diraient de moi.
SP : Comment se sont passées vos rencontres avec le mandataire ?
Mathieu : Très bien. J'ai toujours été franc avec lui. En retour il s'est montré très humain.
SP : Quel souvenir gardez-vous de vos passages au tribunal ?
Mathieu : Le juge était sympa, ouvert : on pouvait discuter avec lui. Aucun problème de ce côté-là.
SP : Votre remarque sous-entend qu'il y a eu des problèmes avec d'autres personnes ou d'autres organismes ?
Mathieu : Oui, avec les banques surtout ! Elles nous ont mis des bâtons dans les roues ! Par exemple, il y a deux ans, après avoir commandé un audit d'orientation à la Chambre d'Agriculture, nous avons demandé un prêt pour acheter des vaches et augmenter la production laitière ; l'audit, qui montrait notre rentabilité sur cette production, nous encourageait en effet à abandonner l'engraissement des mâles et à se concentrer sur le lait. Eh bien les banques ont refusé. On a dû autofinancer cet investissement. Je crois qu'au fond les banques nous en ont voulu d'être partis en redressement.
SP : Et avec les fournisseurs ?
Mathieu : Avec les fournisseurs, dans l'ensemble, ça s'est bien passé, sauf quelques-uns avec lesquels nous n'avons plus travaillé. D'autres ont eu du mal à comprendre au début que ce n'était plus nous qui devions régler leurs créances, mais le mandataire ; avec le temps, ça s'est arrangé.
SP : Quel rôle a joué l'association pendant cette période ?
Mathieu : Solidarité Paysans est compétente sur le sujet du redressement. Même si les audiences au tribunal ou les rencontres avec le mandataire ne m'impressionnent pas, c'est bien d'être accompagné par des personnes qui sont là pour vous soutenir et qui, en plus, connaissent tous ces interlocuteurs.
SP : Et si c'était à refaire ?
Mathieu : On le referait ! J'ai juste un regret, c'est de n'avoir pas forcément bien profité de la période d'observation ; elle a été courte (1 an) ; et en plus nous avons commencé à verser au mandataire dès le début. Egalement, j'aurais dû demander un audit global de l'exploitation tout de suite ; il est venu un peu tard, et nous avons tardé à réorienter l'exploitation (arrêt des taurillons).
SP : Vous êtes en GAEC avec votre frère ; d'après vous, son ressenti est-il le même que le vôtre au sujet du redressement ?
Mathieu : Je suis un peu la locomotive dans le GAEC ; mon frère est moins habitué à prendre des décisions ; il me suit. Je dois dire qu'il a envisagé l'arrêt de l'exploitation plus sérieusement que moi. Mais, je l'ai convaincu que c'était préférable pour tous les deux de partir en redressement et de continuer l'exploitation.
SP : Comment voyez-vous l'avenir de votre exploitation ?
Mathieu : Nous avons diminué la part du maïs, et arrêté l'engraissement des jeunes bovins ; ma femme travaille depuis un peu plus d'un an à mi-temps sur l'exploitation ; elle est minutieuse et elle nous a aidé à améliorer nos résultats techniques en reproduction et même en production laitière. Globalement, notre situation s'améliore. Je suis confiant.