Des mesures d'urgence pour protéger les agriculteurs et sécuriser les procédures
Face à l'accélération de la propagation du virus Covid 19, les tribunaux sont fermés depuis le lundi 16 mars 2020 exceptés pour le traitement des contentieux essentiels.
Les procédures relevant du Livre VI du Code de Commerce ne sont pas identifiées comme urgentes ; les audiences sont reportées.
La suspension de ces procédures protectrices et les diverses mesures de soutien aux acteurs économiques doivent s'accompagner de mesures d'urgence pour protéger les débiteurs et sécuriser les procédures.
Dysfonctionnements des procédures collectives
Les contentieux non essentiels, dont les procédures collectives, ont été suspendus par le ministère de la Justice. Solidarité Paysans observe cependant que cette consigne n'est pas respectée sur l'ensemble du territoire.
Si généralement les tribunaux judiciaires ont annulé ou reporté toutes les audiences concernant les procédures collectives, il n'en est pas de même, par exemple, dans le Nord/Pas-de-Calais. Des audiences de renouvellement de périodes d'observation ont lieu, en l'absence du débiteur. Il est alors demandé à ce dernier de communiquer par mail son souhait de renouvellement ou non de la période d'observation et son accord sur la tenue de l'audience sans sa présence.
Le réseau Solidarité Paysans s'inquiète également que certains mandataires, faute de paiement du dividende dans les temps, demandent la conversion de la procédure de redressement en liquidation judiciaire. Un mandataire s'est déjà exprimé dans ce sens.
Solidarité Paysans tient également à informer le ministère de la Justice et le ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation des difficultés matérielles très importantes concernant tant la préparation des échéances que le déroulement des procédures.
Beaucoup d'agriculteurs n'ont, en effet, pas accès à du matériel informatique performant (smartphone ou ordinateur avec caméra et micro) ; beaucoup ne maîtrisent pas suffisamment ces outils pour un travail efficace, certains n'ont tout simplement pas accès à internet ou à un réseau téléphonique performant. Cette fracture numérique est connue et dans le cas présent, ces difficultés d'accès matérielles rendent les propositions de réalisation d'audiences par téléconférence ou l'envoi de documents par moyen dématérialisé inopérants.
L'ensemble du réseau Solidarité Paysans rencontre par ailleurs des difficultés techniques pour la construction des plans de continuation avec les paysans. Dans cette période de confinement, il est en effet impossible d'organiser des rendez-vous physiques entre les agriculteurs en procédure, leur service comptable et l'association, rendez-vous d'autant plus indispensables que les échanges de documents par voie dématérialisée et les téléconférences sont très limitées. Les capacités d'intervention de Solidarité Paysans se trouvent extrêmement contraintes.
Le débiteur en état de cessation des paiements dispose légalement d'un délai de 45 jours pour déclarer sa cessation des paiements et demander l'ouverture d'une procédure collective. Cette dernière permet de suspendre les poursuites et les mesures d'exécution des créanciers et entraîne un gel du passif et l'interdiction du paiement des dettes antérieures au jugement d'ouverture. Ces mesures, protégeant le débiteur ne sont plus accessibles depuis le début de la crise épidémique du COVID 19.
Dans les conditions actuelles de confinement, les débiteurs se trouvent dans l'impossibilité de satisfaire l'obligation légale de déclaration de cessation de paiement, n'ont pas accès à la protection des procédures collective et se trouvent par conséquent exposés aux mesures de recouvrement forcés des créanciers.
Solidarité Paysans demande en conséquence :
- de préciser sur quelle base légale les tribunaux judiciaires organisent des audiences alors que les procédures collectives ne font pas partie des services d'urgences pénales et judiciaires déclarés par le ministère de la Justice ;
- de préciser les voies de recours du débiteur contre les décisions prises à son encontre durant la période de confinement ;
- de suspendre ou prolonger les phases de conciliation et les périodes d'observation pour une durée au moins équivalente à la durée de la période de confinement. Il semble important de majorer cette durée pour couvrir la période de « remise en marche » des services judiciaires et économiques lors du déconfinement ;
- d'autoriser le dépôt des déclarations de cessation des paiements par le débiteur, par voie postale ou électronique lorsque c'est possible avec renvoi par les greffes des tribunaux, comme en cas de remise directe au greffe, d'un certificat de dépôt de la déclaration ;
- Si les demandes d'ouverture de procédure collective s'avèrent être de nouveau possible durant la période de confinement, Solidarité Paysans insiste sur le fait que seules celles demandées par le débiteur soient examinées. L'étude des demandes effectuées par les créanciers poseraient en effet la question du respect du droit de la défense du débiteur ;
- de suspendre les procédures de recouvrement forcé entreprises avant le déclenchement de la crise, et de ne pas en ouvrir de nouvelles, jusqu'à nouvel ordre. La situation extraordinaire à laquelle nous sommes confrontés méritant d'être reconnue comme un cas de force majeure.
d'autoriser le report du paiement des dividendes des plans de continuation en procédure collective et des échéances des accords de conciliation en règlement amiable pour les entreprises impactées par les mesures liées au COVID-19 .
Un évènement extraordinaire
La pandémie COVID-19 impacte tous les pays de l'Union européenne ; ses conséquences touchent/toucheront, à des degrés divers, de très nombreux secteurs et entreprises.
Cette crise va ajouter de la fragilité à des entreprises qui sont en situation de vulnérabilité. Pourtant, dans un contexte « ordinaire » (hors COVID 19), beaucoup des entreprises en difficulté, grâce à une procédure collective, auraient pu maintenir leur activité.
Pour soutenir les entreprises, l'Etat met en œuvre des aides.
Il est impératif que ces aides s'appliquent de la même façon à toutes les entreprises, y compris à celles en difficulté et en période d'observation.
Les aides exceptionnelles accordées par l'Etat dans le cadre de cette crise, doivent être considérées comme des « aides destinées à remédier aux dommages causés par les calamités naturelles ou par d'autres événements extraordinaires » mentionnées à l'article 107, paragraphe 2, point b, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
Ces aides ne sauraient être accordées dans le cadre des aides minimis (RUE 1408/2013), qui sont une catégorie d'aides accordées en application du point 4 de l'article 108 du TFUE, catégorie de nature juridiquement différente. En effet, accordées dans le cadre des règlements minimis, ces aides impliqueraient des plafonds et l'exclusion systématique des entreprises faisant l'objet d'une procédure d'insolvabilité.
Suspension des mesures de recouvrement forcé
La situation extraordinaire à laquelle nous sommes confrontés mérite d'être reconnue comme un cas de force majeure. En effet, la crise épidémique COVID 19 et le blocage économique qu'elle entraine, remplissent les conditions de la force majeure puisqu'ils sont irrésistibles, imprévisibles et totalement indépendants des personnes qui en sont victimes.
En cette période de confinement et de suspension des contentieux non essentiels, dont les procédures collectives, le droit du débiteur à se défendre contre les poursuites de ses créanciers n'est pas assuré. Le débiteur ne peut pas s'opposer devant le tribunal, ou encore, par voie de lettre recommandée avec accusé de réception, dans la mesure où de nombreux guichets de poste sont fermés.
Solidarité Paysans demande :
de suspendre les procédures de recouvrement forcé entreprises avant le déclenchement de la crise, et de ne pas en ouvrir de nouvelles, jusqu'à nouvel ordre.
Sécuriser les procédures collectives, préserver leur efficacité
Les échéances judiciaires sont affectées par la crise épidémique COVID 19. De nombreuses questions surgissent dès à présent quant à la déclaration de cessation de paiement, la durée et déroulement de la période d'observation, les conséquences d'une incapacité à payer le dividende, etc. ;
Solidarité Paysans demande :
- d'autoriser le dépôt des déclarations de cessation des paiements, par voie postale lorsque c'est possible ou par voie électronique avec renvoi par les greffes des tribunaux, comme en cas de remise directe au greffe, d'un certificat de dépôt de la déclaration ;
- de suspendre ou prolonger les phases de conciliation et les périodes d'observation pour une durée au moins équivalente à la durée de la période de confinement imposée par l'Etat. Il semble important de majorer cette durée pour couvrir la période de « remise en marche » des services judiciaires et économiques lors du déconfinement ;
- d'autoriser le report du paiement des dividendes des plans de continuation en procédure collective et des échéances des accords de conciliation en règlement amiable pour les entreprises impactées par les mesures liées au COVID-19 ;
- de suspendre les opérations de réalisation de l'actif du débiteur en liquidation judiciaire ;
- d'examiner les demandes de modification de plan de continuation avec le prisme de la crise actuelle et d'y répondre avec plus de souplesse ;
- de demander aux professionnels des procédures collectives de faire preuve d'une flexibilité et d'une bienveillance dans l'analyse des situations des entreprises en difficultés, au regard de la crise actuelle.