Expérimentation d’un tribunal des affaires économiques au détriment de la protection des agriculteurs en difficultés
Suite aux Etats généraux de la justice, le gouvernement a décidé d'expérimenter la mise en place d'un tribunal des affaires économiques qui serait compétent pour toutes les procédures collectives y compris agricoles. Forte de ses trente années aux côtés des agriculteurs et agricultrices en difficultés devant les tribunaux judicaires, Solidarité Paysans s'y oppose fermement.
En effet, les procédures collectives agricoles traitées par les juridictions civiles depuis 35 ans sont efficaces, adaptées et permettent de redresser de nombreuses exploitations. La remise en cause de ce système va fragiliser le cadre protecteur que représente la justice.
De plus, l'expérimentation ne sera pas réalisée dans les conditions prévues par la suite, mais dans les conditions actuelles de fonctionnement des tribunaux de commerce ; ce qui empêchera toute véritable évaluation.
Nous craignons en effet que le futur tribunal des affaires économiques, simple extension du tribunal de commerce, expose les agriculteurs et agricultrices à un jugement susceptible d'être partial, rendu par un juge consulaire lui-même agriculteur, désigné par un collège électoral composé des élus de la chambre d'agriculture du département. Le rapport final des Etats généraux, constate lui-même que : « les petits TC (tribunaux de commerce) n'ont ni la taille critique en termes de compétence ni le détachement nécessaire vis-à-vis de leur environnement économique »[1]. Solidarité Paysans se questionne sur les compétences mais surtout sur le détachement qu'aura un juge consulaire, agriculteur issu du même département que l'agriculteur en difficultés. Ce mode de désignation des juges crée un risque fort de conflit d'intérêt dans une profession où le phénomène de filière et de concentration conduit déjà à ce que les élus cumulent de nombreux sièges (syndicat, banque, chambre…).
Solidarité Paysans craint donc que la création des tribunaux des affaires économiques n'entraine pour les agriculteurs et agricultrices plus de difficulté à obtenir une procédure visant le maintien de leur activité[2]. Ce qui aurait pour conséquence la disparition d'un nombre important d'exploitations agricoles, et comme l'a dit E. Macron dans son discours de présentation de la LOA : « Quand une exploitation tombe, […] c'est tout un territoire qui parfois se fragilise et se détricote ». L'agriculture ne peut pas être considérée comme une activité économique ordinaire car c'est une production essentielle à notre société.
Solidarité Paysans considère que la conjoncture actuelle, défavorable aux agriculteurs et agricultrices, nécessite de leur apporter plus de sécurité, et non d'expérimenter une nouvelle organisation de la prise en charge judiciaire de leurs difficultés économiques. Solidarité Paysans demande donc au Garde des sceaux d'écarter les agriculteurs et agricultrices de cette expérimentation afin d'être cohérent avec la volonté affichée par la feuille de route de prévention du mal-être en agriculture et accompagnement des agriculteurs en difficulté.
Télécharger le communiqué de presse du 6 janvier 2023
[1] Rendre justice aux citoyens – Tome 3 : annexe 15 – Avril 2022 – Page 32.
[2] Ces 10 dernière années la moyenne des redressements judiciaires ouverts au tribunal de commerce est de 31,6%, contre 56% de redressements d'exploitation agricole au tribunal judiciaire en 2019, Rapport Altares Trimestre 4 et bilan 2020 : « Étude de défaillances et sauvegardes des entreprises en France » - Page 7